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  • Photo du rédacteurPauline Lacot

En accord


L’orchestre s’accorde. Sans lui. Il attend dans la pénombre. L’excitation et l’angoisse se mélangent, un goût amer dans la bouche, des étoiles dans les yeux, de l’amour au bout des mains. L’orchestre se tait. Il sait qu’il doit le rejoindre. Il ferme les yeux, inspire et expire, doucement il ouvre les yeux, il fait un pas, le cœur battant, il s’avance. Le public applaudit. Il aime ces moments-là. L’attente derrière tous ces regards lui pique le dos, l’attente dans tous ces regards lui réchauffe le cœur. Le temps se suspend. Il attend que son cœur se calme. Il lève les bras, son corps et son âme ne font qu’un. Il fait un mouvement et la musique se répand.


Assise au premier rang, elle observe. Elle regarde tous les instruments, elle en connaît beaucoup et en découvre certains. Elle regarde les musiciennes et musiciens. Ce qu’elle aime, c’est quand l’orchestre s’accorde. Ça lui fait toujours quelque chose. Comme si elle allait à la rencontre de quelqu’un d’important. Elle ferme les yeux, se laisse envahir par l’harmonie trouvée. Plus rien n’existe. Elle isole les bruits, les murmures, les éclats de rire, les notes, le silence, les applaudissements. Il est entré. Il prend place. Elle l’observe. De lui se dégage une sérénité angoissée. Elle sent sa peur mêlée à l’excitation. Elle inspire et expire. Il salue le public, se tourne, lève les mains puis par un mouvement, la musique se répand.


Il se sent bien au milieu de ces musiciens. La puissance de chaque instrument, la communion qu’il s’en dégage, l’amour qui se perd et se retrouve dans les sons, la difficulté de tous les diriger et la confiance qui se lit en chacun d’eux. Il est heureux. Les épaules larges, le geste gracieux, il connaît l’œuvre par cœur. Il mène à l’émotion, une émotion qui ferait chavirer les âmes mais qui les rend aussi invulnérables. Il a la chair de poule. Il ne doit pas trembler, il ne doit pas se laisser envahir par elle. Mais c’est tellement beau. Il est fier. Fier de les avoir accompagné jusqu’au bout. Ils sont fiers de l’avoir accompagné jusqu’au bout. Il salue, ému.


Elle se sent bien au milieu du public. Tour à tour, elle ouvre et ferme les yeux. Sa peau absorbe les notes, les sons, les silences. Elle tremble. Elle pleure. Elle veut tout voir, tout entendre, tout comprendre. Elle veut lâcher prise. Elle aime. Elle vit. Elle le regarde. Elle le regarde peindre la musique. Elle voit se dessiner un tableau merveilleux. Chaque musicien est une couleur, chaque note est une nuance, le chef d’orchestre est le peintre et le tableau naît. Elle est bouleversée. Son cœur bat au rythme des accords. Elle le regarde et la musique prend alors son sens. Elle se tait, ne trouve pas la force d’applaudir. L’émotion lui coupe le souffle, la tétanise. Elle se lève pourtant et les salue.


La musique est une peinture. Elle est l’unique au milieu d’un tout. Chaque regard qui se pose sur elle ne raconte pas la même histoire. La musique est une peinture intime. Elle puise dans l’autre et se suffit à elle-même. Elle est aimée et rejetée, elle est comprise et incomprise, elle est unique et universelle. Sans peintre, la peinture n’existe pas, sans musicien, la musique n’existe pas, sans chef d’orchestre, l’œuvre ne serait pas aboutie.


Il peint avec les harmonies.

Elle écoute avec les yeux.

Il peint avec son âme.

Elle pleure avec son cœur.


© Pauline Lacot

Photographie : Silence, on joue ! avec l'OHDI


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