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  • Photo du rédacteurPauline Lacot

Je veux voir la mer



- Anastasia ? Tu es là ? - Oui ! Entre ! - Pourquoi tu es dans le noir ? - J’ai un peu mal à la tête. - C’est pas souvent que tu fermes la boutique. Je me suis inquiétée. - Ça ira mieux demain. - Tu sais que je peux t’aider. J’ai appris à coudre. - Jamais je n’ai fermé la boutique. C’est dommage que ce soit pour un mal de tête parce que c’est agréable… de ne rien faire. - Tu as entendu ce que je te propose ? - Oui… Mais non. - Pourquoi tu ne veux pas ? - Parce que je ne veux pas que tu vives ce que j’ai vécu. Être asservie à son travail, ce n’est pas la belle vie. - Pourtant tu aimes ton travail… - Je l’aime mais il me pèse aussi. J’avais des rêves. - Tu peux encore les réaliser. - Je crois que c’est trop tard. - Dis-moi tes rêves ! - J’aurais aimé nager dans la mer. - Tu n’as jamais été à la mer ? - Non… jamais. - Oh… - Lire un bon roman au coin du feu sans avoir peur de manquer d’argent. - C’est triste… - Être maman. - Tu as déjà été amoureuse ? - Oui, il y a bien longtemps. - Pourquoi tu n’es plus avec ? - Parce qu’il est mort dans un accident de voiture. - Oh… - J’étais enceinte quand j’ai appris son décès. La douleur a frappé mon ventre. J’ai dit à mon petit de tenir fort, que je serai toujours là pour lui. Il est né handicapé et je n’avais pas les moyens de subvenir à ses besoins. Alors… - Alors quoi ? - Alors il a été placé dans une famille d’accueil. - Oh… Tu sais ce qu’il devient ? Ou ce qu’il est devenu… ? - Il s’appelle Martin. C’est le prénom de son papa, le prénom que j’ai eu le temps de lui donner. J’étais déjà couturière mais du jour où je l’ai tenu dans mes bras, du jour où il en a été enlevé, j’ai eu l’envie d’accompagner les bébés avec mes créations. Combien de maman sont venues me voir… Je les admirais, les comprenais aussi. - C’est comme ça que tu as connu ma maman. - Oui et que je t’ai connue toi. - J’ignorais pour ton fils. Tu sais où il vit ? - À Moulins. - Mais c’est à côté de chez nous. Tu n’as jamais eu envie de lui parler ? De lui rendre visite ? - Si… mais je ne l’ai jamais fait. Que lui aurais-je dit ? - Je ne sais pas… Tu as toujours mal à la tête ? - Oui… et maintenant j’ai aussi mal au ventre. C’est bizarre. Les douleurs me rappellent celles que j’ai ressenti à la mort de mon mari et de l’abandon de mon enfant. - Anastasia. Quelqu’un frappe à la porte. On dirait que ça insiste. Tu veux que j’aille voir ? - Oui, je veux bien.


[…]


- Ana ? Tu peux te lever ? - Difficilement. Tu as besoin ? - Viens Ana. Je peux venir jusqu’à toi si tu veux et t’aider. - Non, non, ça va .


[…]


- Anastasia, je te présente Martin.

Au moment où Anastasia pose ses yeux sur le jeune homme figé dans l’entrée, ses douleurs s’effacent pour laisser place aux battements puissants de son cœur. Il ressemble trait pour trait à son père. Son fils avance doucement vers elle. Il sait. Dans un geste tendre, il pose sa tête sur l’épaule de sa maman. « Je veux vivre avec toi maintenant. On ira voir la mer. J’en rêve depuis tout petit… »


© Pauline Lacot

(Septembre 2022)


Photographie : Ainay-le-Château (03)


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