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Photo du rédacteurPauline Lacot

La boîte



Simone et Bernarde ont grandi dans cette maison. A l’époque, les persiennes n’étaient pas bleues. C’est leur nièce, Sarah, qui les à faire repeindre. Elle voulait se rappeler les yeux de ses tantes. Petite, elle venait passer les deux mois d’été chez les soeurs. Elle adorait ces moments. L’odeur du feu de bois de la cuisinière, les toilettes au fond du jardin, la salle de bain avec le bidet, les draps rudes et froids, l’édredon pour les nuits fraîches et le parfum des tartes aux mirabelles. Tout est là… dans la mémoire de Sarah.

Simone avait des cheveux roux bouclés. Son regard perçant glaçait les passants. Sarah savait qu’au fond d’elle, elle avait le cœur gentil. Bernarde portait les cheveux en chignon aussi noirs qu’un ciel d’orage. Son regard franc en faisait fuir plus d’un. Sarah savait qu’elle tenait à l’écart les gens par peur d’être blessée.


Jamais elle ne les a connues avec des amoureux. Ça ne les intéressait pas. C’est ce qu’elles disaient. Plus tard, Sarah comprendra qu’il y avait derrière leurs silences des souffrances.


Sarah a gardé la maison. Elle aime y revenir l’été avec ses enfants. Sans son mari. Elle l’a quitté. Ses tantes lui diraient que c’est malheureux mais que c’est bien aussi. Qu’une femme se doit d’être libre. Sarah leur répondrait qu’elle aurait préféré l’aimer toute sa vie cet homme-là. Mais il en a choisi une autre. Il regrette mais Sarah ne regarde plus en arrière.


Les volets bleus l’accueillent, la protègent. Les gens du village la connaissent bien. Elle a les cheveux roux comme Simone et le regard franc comme Bernarde. Sa mère, leur sœur, est morte peu après sa naissance. Elles l’ont recueillie comme leur propre fille. Elle les aimait tant.


Ses enfants courent dans le jardin et l’appelle. « Maman, maman ! Viens voir ! On a un trésor. ». Sarah n’a trouvé aucun souvenir dans la maison comme si les sœurs avaient décidé de tout faire disparaître. Elles se sont suicidées. Un voisin les a trouvés, inertes, main dans la main. Sarah a beaucoup pleuré.


« Maman ! Viens ! ». Sarah s’approche de ses deux enfants. A côté d’eux une boîte en fer. Dessus le dessin d’une maison aux volets bleus. « Où l’avez-vous trouvée ? » « Sous le pommier, là-bas. Sophie a trébuché. C’était à cause de la boîte. Tu l’ouvres maman ? ».

Sarah rentre dans la maison suivie de sa progéniture. Sophie s’assied sur ses genoux, Paul sur une chaise, à côté.


La boîte raconte le temps qui a passé. A l’intérieur, des lettres, des photographies jaunies, un collier, une montre. Sarah pleure sa peine et sa joie. Sur l’enveloppe du dessous, son prénom est écrit. Les enfants sont partis jouer. Elle s’installe sur le perron, près des persiennes bleues. Lentement, elle découvre les mots de ses tantes, de ses mamans de cœur.


Simone et Bernarde sont parties une nuit de décembre sans explication. Sarah a longtemps cherché des indices ; elle n’a jamais rien trouvé. Sous ses yeux, ses tantes lui racontent leur fin, leur choix de mourir, sans fard ni compromis, avec amour et tendresse.

Sarah embrasse le papier vieilli et dans un cri du cœur envoie mille baisers à ses tantines adorées.


© Pauline Lacot

(septembre 2022)


Photographie : Cuzion (36)


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